Miami Vice en VF : je t’aime moi non plus

Miami Vice en VF : je t’aime moi non plus - Enquête

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Sujet ô combien clivant et polémique pour les puristes, le doublage en version française de notre série préférée suscite des réactions assez tranchées : trahison pour les uns, mal nécessaire pour les autres, le doublage souvent décrié de Miami Vice mérite qu’on s’y intéresse. On constate que le pire y côtoie le meilleur

« Sacrilège ! » Evoquer les éventuels charmes de Miami en VF auprès des amoureux de la série peut valoir un procès en hérésie à l’imprudent qui s’y risquerait. Au-delà des réactions épidermiques, il est légitime de s’intéresser au doublage (ne pas confondre avec la postsynchronisation) de Miami Vice, euh pardon, « Deux Flics à Miami ». L’importance de la bande son, qu’elle concerne les voix ou la musique, revêt un caractère primordial dans toute œuvre cinématographique ou télévisée. C’est par la bande son, associée à l’image, que nous entrons dans l’œuvre et que nous recevons un certain nombre d’informations, à commencer par les éléments de scénario. On a dit cent fois le rôle de 1er plan de la musique dans Miami Vice. Ce sujet ayant été largement traité, je n’y reviendrai pas. En revanche, personne à ma connaissance ne s’est penché sur le doublage en VF de la série, dont seul un fan français est à même d’apprécier le niveau. Je relève donc le défi et instruirai le dossier à charge et à décharge, étant entendu que mon analyse ne prétend pas avoir une portée exhaustive ni ne concerne la totalité des 111 épisodes.

La France a fait le choix, pour des raisons culturelles, peut-être aussi pour d’autres raisons moins louables, de doubler les œuvres cinématographiques et télévisées étrangères. Ce choix n’est pas universel puisque de nombreux pays ont choisi de conserver les versions originales, le plus souvent sous-titrées (VOST), soit par manque de budget soit par choix assumé. Nous avons aujourd’hui le bonheur de pouvoir choisir la version de nos films et séries à la télé, mais cette avancée technologique ne date que des années 2000. Dans les années 80 et 90, des séries et films étaient diffusés alternativement en VF et VO sur des chaînes payantes du câble comme Canal Jimmy ou sur Canal +, mais les version diffusées n’était pas modifiables. Ainsi, Miami Vice fut à l’origine diffusé en VF, ce qui a influencé notre perception de la série et habitué nos oreilles aux voix des personnages.

Abordons sans attendre le débat « traduire c’est trahir ». Je suis de ceux qui pensent effectivement qu’un doublage appauvrit et trahit une œuvre. Miami Vice fait partie des séries que je peux regarder en VO ou en VF, ce qui est assez rare pour moi. Par exemple et dans un autre registre, je ne supporte pas de regarder Twin Peaks ou Sixt Feet Under en VF. Mais Magnum P.I. ne me pose pas de problème en VF. Un homme (ou une femme) est la somme de ses contradictions.

C’est donc en VF que la France a découvert Miami Vice en septembre 1986 sur Antenne 2. Les rediffusions sur la Cinq ou M6 étaient également en VF. Quelques années plus tard, l’arrivée des DVD (imports ou français avec version modifiable) et du numérique ont permis d’accéder à la version originale et de mesurer toute la différence, parfois abyssale, avec la version originale. Le choc fut… brutal.

Premier constat, qui n’est pas uniquement dû à mes cassettes VHS (donc non, je n’ai pas 25 ans), la qualité de la bande son est assez mauvaise. Diffusé en mono (au lieu de stéréo) pendant longtemps, Miami Vice en VF a souffert de cette contrainte technique. La rediffusion sur des chaînes comme 13ème Rue a permis la version stéréo mais avec quelques ratés au début, bien audibles pendant les épisodes. Pire encore, la diffusion de nombreux passages diffusés en VO à l’intérieur des épisodes en VF (par exemple dans Milk Run, Smuggler’s Blues, Line of Fire, Baby Blues, Trust Fund Pirates etc.) a contribué à casser l’homogénéité et la cohérence de la bande son, malgré l’intention louable affichée de conserver une certaine qualité par rapport à la VO. Au sujet de la qualité sonore, la sortie des premiers DVD en anglais n’a pas non plus réglé le problème : le son est d’une qualité médiocre. Le Blu Ray a depuis apporté une amélioration notoire.

Ensuite, et nous en venons au cœur du sujet, le choix et la qualité des voix des personnages en VF sont sujets à de multiples remarques voire récriminations. Il s’agit de bien définir le cadre de l’analyse : soit on choisit de comparer la voix en VF à celle en VO, auquel cas on a 9,9 chances sur 10 d’être déçu, soit on considère la voix française en elle-même, sans comparaison avec la VO, et sa « cohérence » avec le personnage (mais un physique peut-il vraiment conditionner une voix ?). Dans les deux cas, force est de constater qu’on trouve dans les voix des personnages en VF des réussites et des échecs.

Patrick Poivey, Sady Rebbot et Michel Vigné (fin des années 80)
Patrick Poivey, Sady Rebbot et Michel Vigné (fin des années 80)

A tout seigneur tout honneur. Don Johnson, alias James « Sonny » Crockett, est doublé par l’incontournable Patrick Poivey et c’est une réussite à mon sens. Poivey, dont la voix s’accorde à la « coolitude » légendaire de Crockett, a réalisé un gros travail pendant les 5 saisons. Impeccable dans l’humour comme dans la colère, la peur ou les sentiments, Poivey et son timbre de voix ont noblement servi le personnage de Crockett. En tout cas ne l’ont-ils pas desservi, ce qui ne fût pas le cas du doublage d’autres personnages, nous y reviendrons. Pour être honnête, on doit bien reconnaître que l’humour de Crockett passe moins bien en français, c’est indéniable. Ses phrases chocs aussi manquent de percussion en français. La VF a ses limites, quelle que soit l’œuvre concernée. Le premier écueil arrive assez rapidement dans la saison 1 avec No Exit : Bruce Willis, alias Tony Amato est la guest star principale de l’épisode. Problème : c’est Patrick Poivey qui d’habitude le double (ainsi que Tom Cruise, deux superstars d’alors). Willis ne peut donc pas avoir sa voix habituelle en VF puisque ce serait la même que Crockett. On se retrouve donc avec une voix différente pour Willis, ce qui rétrospectivement est assez gênant pour les habitués de la VF de Moonlightning (Clair de Lune qui passera sur M6 à partir de 1987) ou de la saga Die Hard. On trouve pourtant des épisodes de Miami Vice où deux personnages sont doublés par le même comédien, mais il s’agit souvent de personnages secondaires voire tertiaires. Pour l’anecdote, Patrick Poivey a une énorme carrière de doubleur (il confie avoir horreur du terme « doublage ») et a adoré doubler Crockett dans Miami Vice. Et pour cause : ce ne sont effectivement pas un personnage ni une série qu’on doit rencontrer tous les jours.

Eternel numéro deux, PMT alias Tubbs est doublé en VF par Sady Rebbot, dont les plus jeunes parmi les plus vieux d’entre nous se souviennent dans Papa Poule diffusé sur Antenne 2 entre 1980 et 1982. Si l’on compare avec la voix originale de Philip Michael Thomas, le choc est rude. La VF gomme complètement le côté populaire donné au personnage par PMT, qui a exagéré son accent pour jouer Tubbs. Sa façon de dire « New Yaaark » en VO le situe entre Little Italy et le Bronx. Sady Rebbot lui donne une voix plus posée, plus grave et rassurante, plus élégante aussi, qui sied plutôt bien au personnage de Tubbs au look formel et soigné (notamment lorsqu’il adopte la barbe). En VF, son fameux « bonhomme », lancé régulièrement à l’attention de Crockett est devenu un classique, tout comme le « tonton », reçu en retour. Ces répliques viennent nous rappeler que le doublage est étroitement aux choix de traduction. Au final, je trouve le doublage de Tubbs, bien qu’éloigné de l’original, assez convaincant. Fait intéressant, il semble que Sady Rebbot qui doublait Tubbs, ait doublé quelques autres personnages en forçant sur les notes graves pour différencier un peu sa voix, comme par exemple le juge du 2ème procès à la fin de Fruit of the Poison Tree.

L’autre réussite de la VF après Crockett, pour moi, c’est Castillo. J’ose même dire que la voix de Serge Lhorca est parfaite pour le personnage et aussi bonne, si cela était possible, que la voix originale d’Edward James Olmos, assez peu audible. Ce n’est pas le personnage qui a réclamé de plus de travail en VF, étant donné qu’il avait à peu près 10 mots à dire par épisode. Le jeu d’acteur d’EJO repose avant tout sur un regard et une posture, associés à un « uniforme » de travail. Mais le peu de texte à dire l’a été avec le calme, le rythme et la sérénité nécessaires en VF pour faire honneur au personnage de Marty Castillo. Malgré la VO disponible, je continue d’apprécier des répliques telles que « Messieurs, on change d’air » après la fusillade de l’hôtel Senator dans Milk Run, ou « Et ces macs ne sont baladeront pas dans Miami » lancé à l’agent Wilson dans Evan, accompagné du fameux regard qui tue.

Le casting principal est assez bien servi et quasiment inchangé dans le temps, à l’image de Trudy Joplin et Gina Calabrese, qui ont gardé chacune leur voix en VF durant les 5 saisons, doublées par Denise Metmer et Catherine Hubeau. Là encore on est loin des voix originales, la VF perd en réalisme bien sûr mais aussi en nuance, notamment avec Trudy (Olivia Brown), et Gina perd son côté italien-américain (« wop » en argot). Mais on est encore dans l’acceptable, ce qui n’est pas forcément le cas pour Stan Switek (Michael Talbott) et dans une moindre mesure pour Larry Zito (John Diehl). Premier problème : leurs voix en VF ont changé plusieurs fois, ce qui est inconcevable. Que ce soit en VO ou en VF, une voix ne peut changer, elle est l’attribut qui définit un personnage Les séries françaises ont souvent failli à respecter cette règle, c’est très décevant. Switek a commencé par être doublé dans le pilote par un premier comédien (dont j’ignore l’identité), pour la bonne raison que Francis Lax doublait déjà Bill Smitrovich alias Scottie Wheeler. Puis Francis Lax, dont on ne présente plus la carrière, a doublé la voix de Stan Switek de la saison 1 jusqu’au milieu de la saison 5. Dans To Have and to Hold et Miami Squeeze, la voix de Switek change mystérieusement (Lax était-il en vacances ?), puis redevient celle qui nous est familière dans Freefall. Notons que Lax avait déjà doublé Izzy Moreno dans The Great Mc Carthy, en terme de cohérence on a vu mieux. Sa voix est d’ailleurs très particulière, parfois un peu caricaturale, elle convient bien au doublage des dessins animés ou de séries télé comiques, comme Abbott and Costello qu’Alan Beaks regarde dans Hell Hath no Fury, dans laquelle c’est Lax qui double Costello. Dans ce même épisode je pense que Lax double aussi le tueur à gage Charles Hatch (John Finn) et c’est d’ailleurs la même voix que celle du papy au fusil (Pa Ryan) dans Glades. Bref vous l’aurez compris, Francis Lax était l’homme à tout faire du doublage de Miami Vice, de l’agent de sécurité au quidam de la rue en passant par Switek, il a doublé des dizaines de personnages. Les blagues de Switek et ses imitations, qui font le sel du personnage en VO, tombent souvent à l’eau en VF. De plus, Francis Lax a doublé de nombreux personnages dans Miami Vice (policiers etc.) y compris dans les épisodes où Switek est présent et là cela n’a aucun sens. Malgré ses efforts pour moduler sa voix, on la reconnaît très bien. Bref, on sent que la VF a été réalisée avec une économie de moyens. Larry Zito a fait lui aussi les frais de changements de voix au gré des saisons 1 et 2, y compris après le pilote, puis la voix d’Edgar Givry a fixé le personnage jusqu’à sa disparition dans Down for the Count 2.

Le constat pour nos deux lascars, Isadore « Izzy » Moreno (Martin Ferrero) et Nugart Neville Lamont, dit Noogie (Charlie Barnett), est assez contrasté. Martin Ferrero s’est vu attribuer 4 voix françaises différentes dans Miami Vice, c’est un long sujet à lui seul. Il est d’abord apparu en guest star dans le pilote Brother’s Keeper en tant que Trini de Soto, avec une voix associée au personnage. Puis il disparaît et revient dans The Great Mc Carthy en tant qu’Izzy Moreno, personnage d’indic’ récurrent de la série, avec la voix de Francis Lax (oui, celui qui doublera ensuite Switek). Il revient dans Made for Each Other et Nobody lives Forever jusqu’à Bought and Paid For avec encore une nouvelle voix française, il n’est plus doublé par Lax. C’est enfin à Gérard Hernandez (la 3ème voix d’Izzy donc) que va échoir la responsabilité de doubler l’indic’ déjanté jusqu’à la fin de la série, ce qu’il va faire avec le talent qui le caractérise. Hernandez avait déjà doublé des personnages dans la saison 1, à commencer par le Lieutenant Lou Rodriguez (Gregory Sierra) à compter du pilote jusqu’à sa disparation dans Hit List. Seul Hernandez est crédité pour la voie d’Izzy, alors qu’il en a eu 3 différentes en VF. Car, autre problème de la VF, les comédiens ne sont pas tous crédités pour les voix. A l’inverse d’autres séries, il n’y a aucune indication concernant le doublage au générique de fin. Je ne sais donc pas qui a doublé Izzy avant Lax et Hernandez. Je tire mon chapeau à Gérard Hernandez, comédien et doubleur à l’immense carrière, visible chaque jour depuis des années sur M6 dans le programme court Scènes de Ménages, pour son travail de doublage d’Izzy. Délaissant l’identité cubaine d’un Izzy avec un accent à couper au couteau en VO, Hernandez (espagnol naturalisé qui aurait pu garder ce parti pris) a su restituer la drôlerie de Martin Ferrero dans un autre registre en lui ajoutant une touche de fantaisie. Il nous a donné des moments croustillants que je me repasse en boucle, que ce soit dans Phil the Shill, By Hooker or By Crook ou Better Living Through Chemistry (entre autres). Je regrette d’ailleurs qu’il n’ait pas doublé Izzy dans Made for Each Other, qui aurait été bien meilleur. Le cas du doublage d’Izzy est symptomatique des limites du doublage français, notamment dans Miami Vice : un suivi très erratique des voix des personnages et une absence de planification des besoins. On a vraiment l’impression que tout a été fait au jour le jour et avec les moyens du bord, peut-être dans un souci de rentabilité pour l’entreprise de doublage. Noogie est lui doublé part Greg Germain, c’est en tout cas ce que dit Wikipedia. Je dois avouer que je l’ignorais, mais j’ai remarqué que le même comédien a doublé Leon Jefferson (Mykelti Williamson) dans Brother’s Keeper ainsi que le comte Walker dans The Good Collar. A l’inverse d’Izzy, the Noogman a gardé la même voix durant quasiment toute la série. C’est à l’occasion de sa dernière apparition qu’il change de voix, dans Missing Hours, épisode honteux. Pourquoi ? Parce que c’est Carson (Chris Rock) qui est doublé avec la voix de Noogie. Avec le doublage Noogie perd beaucoup, l’identité afro-américaine et le côté « mec de la rue » se perdent dans la VF, sa voix n’est pas en adéquation avec sa classe sociale par rapport à la VO. Pourtant je m’y suis habitué et les passages de Made for Each Other avec Annie ou de Cool Runnin’ restent parmi les meilleurs moments de comédie de Miami Vice. On trouve par contre ici une unité, puisqu’on a attribué la même voix à quatre personnages afro-américains, non sans verser dans le stéréotype d’ailleurs.

Et puis viennent tous les autres, non crédités évidemment. Ces « doubleurs » anonymes qui ont prêté leur voix une fois ou, plus souvent, des dizaines de fois.

Plusieurs ont travaillé tout au long de la série, en prêtant leur voix à plusieurs personnages, comme Szarbo (John Snyder) dans Golden Triangle part 1, Artie Rollins (Ed O’Neil) dans Heart of Darkness, Franck Mosca (Stanley Tucci) dans Blood and Roses ou l’avocat Sam Boyle (Stephen MC Hattie, Fruit of the Poison Tree) qui sont doublés par le même homme. Ont également été doublés avec la même (autre) voix Phil Collins (Phil Mayhew) dans Phil the Shill, Brian Dennehy (Révérend Bill Bob Proverb) dans Amen, Send Money, Michael des Barres (Shane DuBois) dans Baseballs of Death et David Schramm (Pr Haliwell dans Asian Cuts). Autre exemple : même doublage pour un chauffeur taxi et Brad Sullivan alias Jack Coleman dans Duty and Honor (donc dans le même épisode), Larry Joshua alias Cat dans Little Miss Dangerous, l‘unique Hank Weldon (Bruce McGill) dans le sublime Out Where Buses Don’t Run, ou encore Ralph Fisher (Teller) dans Like a Hurricane. Si, si, écoutez bien, c’est le même comédien qui double. Même voix encore pour Victor Love (Clarence Batisse dans Better Living Through Chemistry), Vincent Keith Forth alias Archie Ellis dans The Good Collar et James Brown (Lou de Long) dans Missing Hours. Encore une fois, on trouve une dimension ethnique stéréotypée dans la VF car tous les trois sont noirs. Ou bien encore, aviez-vous remarqué que le détective Glenn Mc Intyre (Scott Plank dans Red Tape) et Jack Grestky (Dean Stockwell dans Bushido) partageaient la même voix ? Autre exemple : Michael Margotta, Tony Rivers dans Phil the Shill et Franck Zappa, Mario Fuente dans Payback, sont doublés par le même comédien, qui a doublé pas mal d’autres rôles, comme celui de Philippe Sagot (Lothaire Blutheau) dans One Way Ticket ou encore Captain Hook (Richard Belzer) dans Trust Fund Pirates et pour finir le général Manuel Borbon (Ian McShane) dans Freefall. Toujours dans Trust Fund Pirates la voix de Skip Mueller (Perry Lang) a été attribuée également au dealer Roberto Enriquez (Jeff Meek) dans Fruit of the Poison Tree, ainsi qu’à son propre avocat (le moustachu) dans le même épisode, puis au capitaine Jimindez (Robert Beltran) dans Freefall. Je viens également de me rendre compte, il était temps, qu’Evan Freed (William Russ dans Evan) et Steeve Duddy (John Glover dans Lend me an Ear) partagent la même voix, souvent entendue dans Miami Vice. Orlando Calderone (John Leguizamo) dans Sons and Lovers et le sergent DiTello (Arnie Ross), psychologue de la police dans Child’s Play, sont doublés par le même comédien. Il en est de même pour Fitzgerald (Al Hubbs) d’American Mercenary Magazine dans Hell hath no Fury et Maynard (G. Gordon Liddy) dans Stone’s War. Même chose pour Max Rogo (Austin Pendleton) dans Yankee Dollar et l’agent du FBI Daley (Barry Primus) dans Line of Fire, cette voix ayant été utilisée tout au long de la série. La liste n’est évidemment pas exhaustive, il y a des dizaines d’exemples, mais cela donne une idée de la façon dont la VF a été réalisée. Un dernier exemple, afin de ne pas oublier les dames : Candy James (Robin Johnson) dans Golden Triangle part 1, Christine Von Marburg (Mélanie Griffith) dans By Hooker by Crook, la barmaid Kathleen (Melissa Leo) dans Bad Timing et l’avocate Lisa Madsen (Amanda Plummer) dans Fruit of the Poison Tree partagent la même voix française. Seul personnage récurrent à ne pas être doublé, ni homme ni femme, Elvis s’en sort bien. A moins que l’homme au cigare de l’OCB n’ait jamais parlé, auquel cas ils sont deux.

Leonard Cohen dans le rôle de François Zolan (French Twist)
Leonard Cohen dans le rôle de François Zolan (French Twist)

Avant de conclure, il convient de dire quelques mots des incohérences, bizarreries et adaptations induites par la traduction. D’innombrables références culturelles américaines sont passées à la trappe en VF, gommées par des procédés de traduction tels que l’effacement, l’adaptation ou le calque. Au premier rang desquelles celles qui ont trait au football américain : dans Brother’s Keeper Tubbs parle à Crockett de son « but de 88 mètres » et d’un « dossard » (en fait un maillot), dans The Good Collar Archie Ellis parle de « scouts » qui vont venir le voir ; Crockett répond « des p’tits scouts ? » alors qu’en anglais le terme de « scout » désigne un recruteur. Dans Child’s Play Crockett demande à Trudy si elle sort toujours avec « l’ailier des Dauphins », qui aurait dû être traduit par «le receveur –au pire l’ailier- des Dolphins », car les noms d’équipes de sport US ne se traduisent pas. Le tir a été redressé plus tard dans la série, dans Hard Knocks où on entend parler des « Angels » (et pas des Anges). Dans une autre veine, que dire de l’adaptation culturelle qui fait prononcer à Switek le nom de « la mère Denis* » (horresco referens) dans Missing Hours, alors que les sous-titres de la VO en Blu Ray mentionnent Liz Taylor, déjà plus proche de la réplique en VO, « Mamie Van Doren** ». Ce choix de traduction est une énigme bien dans le ton de cet épisode, qui repousse décidemment toutes les limites. Mais la plupart des changements par rapport à la VO restent à mon sens inexplicables, la VF prenant de grandes licences avec la VO en changeant radicalement le sens des dialogues. On peut suspecter une volonté d’amélioration de la synchronisation avec les lèvres des acteurs, mais j’en doute. On trouve pourtant aussi dans la série des éléments fidèles à la VO, notamment dans les passages en espagnol (parfois non doublés comme dans Baby Blues). N’oublions pas non plus que la VO elle-même a parfois versé dans la caricature, comme le font souvent les américains lorsqu’il s’agit de parler français dans un film ou une série, et confient cette tâche à des comédiens qui ne sont absolument pas français ni ne maîtrisent la langue (French Twist, Leonard Cohen alias François Zolan et Lisa Eichhorn qui jouait Danielle Hier). Les guests stars « récidivistes » ont elles aussi logiquement souffert de l’absence de cohérence du doublage. A titre d’exemple, Justin Lazard (détective Joey Hardin dans Line of Fire, Miami Squeeze et Leap of Faith) s’est vu affublé de plusieurs voix alors qu’il interprétait le même personnage durant la même saison. S’agissant des acteurs apparus plusieurs fois dans MV et qui ont interprété des personnages différents, même traitement : Brad Dourif, Giancarlo Esposito, Stanley Tucci, John Santucci et les autres n’ont pas bénéficié d’une continuité dans leur doublage. Plus grave encore à mes yeux est le problème du non doublage en VF, c’est à dire le fait de ne pas doubler des personnages dont on voit pourtant qu’ils parlent distinctement. Exemples parmi tant d’autres : l’homme au cigare durant la fête pour le mariage de Crockett dans les locaux de l’OCB (Like a Hurricane) ou bien les badauds vociférant devant la maison de Brenda, retenus par un cordon de police (Nobody lives Forever). On peut se demander pourquoi des figurants ou silhouettes n’ont pas été doublés. Probablement par souci d’économie et manque de voix différentes disponibles. Quelles que soient les raisons, le résultat n’est pas à la hauteur de la série. Dans la continuité des aspects négatifs, pas vraiment de traduction en VF du lexique qui se durcit en VO dans la saison 5 avec des insultes, qui pourtant n’ont jamais été un problème culturel en France. Un aspect « positif » de la VF (oui, il y en a) vient s’immiscer dans un océan de négatifs : l’effacement des fameux « Miami Vice ! » criés à l’envi en VO, au profit de « Police de Miami ! » voire « Police ! » tout court, un peu moins fatigant… Enfin, je ne peux terminer un billet sur le sujet du doublage sans évoquer celle qui par sa présence et sa prestance dans un épisode majeur suscite notre fierté en tant que fans français : Arielle Dombasle (Callie dans Definitely Miami), seul comédienne ayant eu le privilège de se doubler elle-même en VF. Au moins nous a-t-on épargné l’infamie d’un doublage avec une autre voix. La VF efface de fait l’identité française de Callie, d’autant plus qu’en VO elle lance deux répliques en français à Crockett sur la plage.

Au final, quel jugement porter sur la VF de Miami Vice ? Le doublage d’une œuvre est affaire sérieuse, qui peut tuer un film ou une série, aussi brillants soient-ils. Celui de Miami Vice ampute la série d’une bonne dose de réalisme et d’authenticité, comme tout doublage. Il se situe pour moi dans la moyenne de ce qui s’est fait dans les années 80 en matière de qualité, notamment parce que les mêmes comédiens français ont doublé la plupart des séries américaines du moment. Miami Vice a bénéficié du travail de grands noms du doublage comme Patrick Poivey (voix de Tom Cruise, Bruce Willis etc.), Francis Lax (Thomas Magnum, Sammy dans Scoobidoo, Scooter dans le Muppet Show, Indiana Jones etc.), Gérard Hernandez et même Roger Crouzet (voix Joe Pesci) dans la saison 5. Le résultat est inégal selon les personnages, mais pas si mauvais comparé à ce qu’on trouve dans d’autres pays qui doublent les séries. Très subjectivement, j’y trouve quelques pépites (Izzy, Crockett, Castillo), mais elles ne peuvent compenser la perte de par rapport à la VO, notamment en ce qui concerne les voix des guest stars. La qualité générale de la série se trouve indubitablement affectée par la VF, mais pas assez pour retirer à Deux Flics à Miami ce qui fait sa grandeur. Rien ne remplace la VO, c’est pourquoi si la série débutait aujourd’hui, je la regarderais évidemment en version originale. Pour autant je continue et continuerai de regarder parfois Miami Vice en VF avec plaisir, car entendre « Crockett, dans mon bureau » , « on se fixe ! » ou « le temps se brouille » ajoute une touche au charme de la série et me fait replonger à la fin des années 80, quand la VO m’était inconnue.

by J. Paul (Noogie)

* La mère Denis, vieille dame bourrue de la campagne, était l’égérie de publicités pour une marque de machines à laver au début des années 80.
** Mamie Van Doren, actrice et bombe sexuelle américaine des années 50 et 60

P.S. Merci à Zaq178 pour son aide ponctuelle mais précieuse.

Crédit photo :
- Le Monde du Doublage Français par Morgane (Facebook)
- Universal

Publié le 24 mai 2020 à 12:00:00
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